Les cauchemars, éprouvés depuis l’enfance, font appel à nos peurs et aux images marquantes de notre mémoire. Bien que non pathologiques en soi, certaines personnes les subissent de manière récurrente, jusqu’à en devenir handicapantes. Récemment, un groupe de chercheurs suisses a découvert une méthode pour atténuer ce phénomène : diffuser, durant le sommeil, une musique familière et associée à des souvenirs heureux. Cette technique permettrait même d’accroître les rêves positifs en manipulant les émotions. Une perspective prometteuse pour les patients dont le repos est grandement perturbé par des cauchemars quasi quotidiens.
Les cauchemars sont courants dès la petite enfance et perdurent tout au long de la vie, parfois associés à des émotions négatives intenses survenant pendant le sommeil paradoxal (REM), distincts des simples « mauvais rêves ». En effet, ces derniers semblent avoir une fonction utile en favorisant la régulation des émotions. Certains cauchemars trouvent leur origine dans un événement particulièrement traumatisant et sont liés à l’état de stress post-traumatique. D’autres ne sont associés à aucun événement négatif spécifique.
Selon « l’International Classification of Sleep Disorders », établie par l’American Academy of Sleep Medicine, les cauchemars deviennent pathologiques lorsqu’ils sont récurrents, c’est-à-dire plus d’une fois par semaine, et qu’ils ont un impact sérieux pendant la journée : provoquant fatigue, anxiété ou des flashbacks cauchemardesques intrusifs. On parle alors de « trouble cauchemardesque », qui semble de plus en plus fréquent suite à la pandémie de COVID-19, mais également à l’éco-anxiété.
Récemment, des chercheurs de l’Université de Genève ont découvert que de la musique diffusée durant les phases cauchemardesques du sommeil pouvait considérablement les atténuer, voire les transformer en des rêves positifs. La technique est associée à un processus déjà connu de répétition d’images positives. Ces combinaisons de solutions offrent un véritable espoir de retrouver un sommeil réparateur pour les personnes souffrant de troubles cauchemardesques. L’étude est publiée dans la revue Current Biology.
Imaginer et visualiser des images positives, une technique à améliorer
Pour aider les patients à se débarrasser de leurs cauchemars, une technique existe, mais ses résultats varient, dépendant fortement de la personne et de sa réceptivité. Il s’agit de la thérapie par répétition d’images (IRT), qui demande aux patients d’imaginer des issues alternatives et positives à leurs scénarios cauchemardesques, chaque jour pendant cinq à dix minutes.
Lampros Perogamvros, du Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE et co-auteur de l’étude, explique dans un communiqué : « Après deux semaines de pratique, il a été démontré que la fréquence des cauchemars diminue ». Cependant, les patients ne réagissent pas tous de la même manière, et cette technique peut être simplement inefficace pour certains. Sans compter que 4% des adultes sont sujets à ces cauchemars chroniques.
C’est pourquoi l’équipe de Perogamvros a tenté de trouver une alternative en associant cette thérapie des images à la méthode de réactivation ciblée de la mémoire (TMR). En 2010, des scientifiques ont démontré qu’il était possible d’amplifier la consolidation de la mémoire, qui se déroule durant le sommeil, en utilisant des sons ou des odeurs préalablement associés à un apprentissage.
En effet, lorsqu’une nouvelle information est apprise, le cerveau l’encode sous la forme d’un réseau de neurones s’activant de manière spécifique : une signature d’activation neuronale associée à cet apprentissage est alors créée. Au cours de la nuit, le cerveau endormi semble rejouer spontanément cette signature neuronale pour que l’information s’imprime dans la mémoire.
Dans le cas de la présente étude, l’objectif était de rejouer la signature neuronale des souvenirs positifs liés aux exercices IRT.
Une bande-son pour la nuit
Pour tester si l’exposition au son pendant le sommeil pouvait augmenter le succès de la thérapie par l’image et donc atténuer les cauchemars, Perogamvros et ses collègues ont examiné 36 patients, tous suivant une thérapie par répétition d’imagerie.
La moitié du groupe n’a reçu aucun traitement supplémentaire, tandis que l’autre moitié devait créer une association entre une version positive de leur cauchemar et un son — un accord majeur de piano joué toutes les dix secondes — lors d’un exercice d’imagination, pratiqué quotidiennement.
Sophie Schwartz, professeure au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE et du Centre suisse des sciences affectives, explique : « Le but était que ce son soit associé au scénario positif imaginé. Ainsi, lorsque le son était rejoué par la suite, mais pendant le sommeil, il était plus susceptible de réactiver un souvenir positif dans les rêves ».
Chaque participant a ensuite reçu un bandeau de sommeil contenant des électrodes mesurant l’activité cérébrale. Il permettait également de détecter les différentes phases du sommeil et de diffuser l’accord de piano. Concrètement, ce dernier était joué toutes les dix secondes à chaque fois que le patient atteignait le sommeil paradoxal — phase du sommeil où les cauchemars se produisent le plus souvent. L’exercice a été réalisé pendant deux semaines, chaque soir.
Les deux groupes ont connu une diminution de leurs cauchemars, mais significativement plus pour la moitié ayant suivi la thérapie combinée, avec des bénéfices ressentis jusqu’à 3 mois après l’expérience. Ces patients ont également vu la fréquence de leurs rêves positifs et heureux augmenter.
Les résultats confirment qu’une telle thérapie combinée devrait être testée à plus grande échelle et avec différents types de populations, afin de déterminer l’étendue et la possibilité de la généraliser. Mais Lampros Perogamvros conclut : « Tout indique qu’il s’agit d’un nouveau traitement particulièrement efficace pour le trouble cauchemardesque. La prochaine étape pour nous sera de tester cette méthode sur les cauchemars liés au stress post-traumatique ».
Ces résultats ouvrent également de nouvelles perspectives pour le traitement d’autres troubles, comme l’insomnie et d’autres symptômes de stress post-traumatique, tels que les flashbacks et l’anxiété.