Trois économistes remportent le prix Nobel pour avoir montré pourquoi les banques font faillite

prix Nobel économie 2022
| Niklas Elmehed
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Le prix Nobel d’économie 2022 a été attribué à trois économistes américains : Ben S. Bernanke (ex-président de la Réserve fédérale américaine), Douglas W. Diamond et Philip G. Dybvig. Leurs recherches ont considérablement amélioré notre compréhension du rôle des banques dans l’économie, en particulier pendant les crises financières. Elles ont également permis d’expliquer pourquoi les banques présentent des fragilités qui peuvent être dévastatrices pour l’économie.

Les recherches des trois experts ont commencé dans les années 1980. Ben Bernanke a lui-même vécu « de l’intérieur » la crise financière mondiale de 2007-2008, alors qu’il était président de la Federal Reserve (Fed) de 2006 à 2014. L’ancien banquier, aujourd’hui chercheur à la Brookings Institution à Washington, a analysé la Grande Dépression des années 1930, considérée comme la pire crise économique de l’histoire moderne ; il a ainsi montré comment la ruée vers les banques a été un facteur décisif dans l’ampleur et la durée de cette crise majeure.

Douglas Diamond, de l’Université de Chicago dans l’Illinois, et Philip Dybvig, de l’Université de Washington à St Louis, ont quant à eux développé une théorie (le modèle de Diamond–Dybvig) permettant de comprendre pourquoi les banques sont si vulnérables aux rumeurs concernant leur effondrement imminent. Les travaux de ces trois experts ont été essentiels pour permettre aux banques, aux gouvernements et aux institutions internationales de traverser la pandémie de COVID-19 sans conséquences économiques catastrophiques, a déclaré le comité Nobel.

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Investissements à court terme vs. prêts à long terme : un équilibre fragile

Avant les recherches des trois lauréats, le rôle des banques dans la société n’était pas clair. Le modèle de Diamond-Dybvig montre que les banques agissent en réalité comme des intermédiaires entre les épargnants et les emprunteurs. Les particuliers déposent leurs économies à la banque — principalement sur des comptes d’épargne non bloqués — et les banques se servent de cet argent pour prêter à des entreprises ou des propriétaires. Mais alors que ces derniers doivent rembourser leur prêt selon des échéances fixées à l’avance, les épargnants sont libres de retirer leur argent dès qu’ils le souhaitent.

Ce système rend malheureusement les banques particulièrement vulnérables aux rumeurs concernant leur effondrement imminent. En temps normal, les épargnants n’ont généralement pas besoin de retirer leur argent en même temps (mais uniquement en cas de dépense imprévue) et les banques sont capables d’absorber ces fluctuations minimes. Mais si, poussés par un quelconque événement sociétal, un grand nombre d’épargnants se précipitent simultanément à la banque pour retirer leur argent — un phénomène appelé « ruée bancaire » ou « panique bancaire » — l’équilibre est rompu, la banque devient insolvable, ne peut plus accorder de prêt et dans le pire des cas, finit par s’effondrer.

À noter que cette soudaine ruée est un exemple de ce que l’on appelle en sciences sociales une « prophétie auto-réalisatrice », qui désigne une situation dans laquelle on s’attend à un événement (souvent négatif), puis on modifie ses comportements en fonction de cette croyance, ce qui a pour conséquence de faire advenir la prophétie. « Les crises financières s’aggravent lorsque les gens commencent à perdre confiance dans la stabilité du système », affirme Diamond.

La recherche a toutefois montré que cette dynamique dangereuse peut être évitée via une meilleure réglementation, notamment si l’État fournit une assurance-dépôts et agit en tant que prêteur en dernier ressort pour les banques — ce qui a été mis en oeuvre pendant la pandémie.

Des banques aujourd’hui moins vulnérables au risque d’illiquidité

Auparavant, il n’était pas évident de déterminer si les faillites bancaires étaient une cause ou une conséquence de la crise. Mais Bernanke, qui a longuement analysé le krach de 1929, a montré que celui-ci était principalement dû à ces faillites. Lorsque les banques se sont effondrées, des informations précieuses sur les épargnants et les emprunteurs (que les banques acquièrent et peuvent transmettre à d’autres) ont été perdues. Or, sans ces assurances sur la solvabilité des entreprises et des ménages, la liquidité ne peut être rétablie rapidement. C’est pourquoi cette crise boursière a conduit à la plus grande crise économique de l’histoire moderne.

La crise de 2008, quant à elle, a commencé par un effondrement du secteur immobilier américain, mais a entraîné une panique sur les marchés financiers — comme le prévoit le modèle de Diamond-Dybvig. Cette panique a déclenché l’effondrement de sociétés de services financiers telles que Lehman Brothers, créant un ralentissement économique mondial. La Réserve fédérale américaine et le Trésor américain sont alors intervenus pour préserver certaines liquidités et empêcher les banques commerciales de s’effondrer. Des interventions similaires ont eu lieu dans le monde entier.

Selon Jean-Philippe Bouchaud, co-fondateur et président de Capital Fund Management à Paris et co-directeur du CFM-Imperial Institute of Quantitative Finance à l’Imperial College de Londres, les travaux de Bernanke sur le krach de 1929 ont été déterminants pour traverser la crise de 2008, en mettant en évidence le fait que des facteurs extérieurs — tels que les biais comportementaux, les boucles de rétroaction et l’effondrement de la confiance — peuvent créer de graves instabilités. « J’estime que nous avons eu collectivement de la chance de l’avoir à la tête de la Fed à l’époque », a-t-il déclaré.

Les leçons tirées de ces deux crises majeures ont également permis de réduire le danger d’illiquidité pendant les blocages de la pandémie de COVID-19. « Les idées des lauréats ont amélioré notre capacité à éviter les crises graves et les sauvetages coûteux », a déclaré Tore Ellingsen, président du comité du prix Nobel en sciences économiques. La Banque centrale européenne est notamment intervenue en apportant une aide financière aux banques et en les incitant à prêter aux consommateurs et aux entreprises. Selon Diamond, le système est aujourd’hui beaucoup moins vulnérable. Il prévient toutefois que les vulnérabilités à l’origine des pannes bancaires peuvent se manifester n’importe où dans le secteur financier, et pas seulement dans les banques.

Source : Nature

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