Découverte : les poulpes peuvent modifier leur ARN pour s’adapter au froid

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Une pieuvre à deux points de Californie (Octopus bimaculoides) camouflée au fond de l'océan. | Roger T. Hanlon
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Les poulpes fascinent toujours autant la communauté scientifique, que ce soit pour leur grande intelligence ou pour leur capacité à s’adapter à divers environnements. Mais, comment font-ils pour survivre dans des eaux aux températures très variables ? La réponse pourrait résider dans leur code génétique. En effet, des recherches récentes suggèrent que les poulpes ont la capacité unique de le modifier pour s’adapter aux changements de température. Ces résultats élargissent la compréhension de l’évolution et de la résilience des espèces marines face aux changements climatiques brutaux qu’elles affrontent.

Les céphalopodes sont une grande famille d’animaux marins qui comprend les pieuvres (ou poulpes) les seiches et les calmars. Ils vivent dans tous les océans, des eaux tropicales chaudes et peu profondes aux profondeurs abyssales proches du point de congélation.

Les poulpes sont connus pour leur intelligence et leur capacité à s’adapter à divers environnements. Malheureusement, ils ne thermorégulent pas. Ainsi, leurs puissants cerveaux sont vulnérables aux changements de température.

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Récemment, des chercheurs ont découvert que ces animaux peuvent modifier leur code génétique pour s’adapter aux variations de température. Grâce à un processus appelé édition de l’ARN, ces céphalopodes ajustent les protéines de leur système nerveux, leur permettant de s’acclimater à des environnements plus froids. L’étude est publiée dans la revue Cell.

Édition de l’ARN et modification de protéines, clés de l’adaptation

L’édition de l’ARN est un processus par lequel les molécules d’ARN messager, qui transportent une copie des instructions génétiques de l’ADN vers les parties de la cellule où les protéines sont fabriquées, sont modifiées. Cette capacité a été observée chez les poulpes de Californie à deux taches (Octopus bimaculoides) lorsqu’ils ont été exposés à des changements de température dans des réservoirs d’eau. Plus de 13 000 modifications de leur ARN ont été notées lorsque les températures étaient plus froides, entraînant des changements dans les protéines résultantes.

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Graphique résumant la méthode utilisée dans l’étude. © J. Rosenthal et al., 2023

L’auteur principal de l’étude, Joshua Rosenthal, du Laboratoire de biologie marine de Woods Hole, déclare dans un communiqué : « Nous pensons généralement que nos informations génétiques sont fixes, mais l’environnement peut influencer la façon dont vous codez les protéines. […] L’édition de l’ARN donne aux organismes la possibilité d’exprimer un carquois diversifié de protéines quand et où ils le souhaitent. Chez les céphalopodes, la majeure partie de l’édition concerne des protéines qui sont vraiment importantes pour le fonctionnement du système nerveux ».

En effet, deux protéines qui ont été significativement modifiées en réponse à la température sont la kinésine-1 et la synaptotagmine, toutes deux essentielles au fonctionnement cérébral. La kinésine-1 est responsable du transport de cargaisons chimiques à travers de longs microtubules à l’intérieur des neurones. L’édition de l’ARN a modifié une partie du « pied » de la kinésine, où elle se connecte aux microtubules, la faisant se déplacer plus lentement à des températures plus basses.

La synaptotagmine, quant à elle, se trouve aux connexions entre les neurones appelées synapses, où elle détecte les niveaux de calcium et déclenche la libération de messages chimiques (neurotransmetteurs) d’une cellule à une autre. L’édition de l’ARN a fait en sorte que les protéines de synaptotagmine aient une affinité plus faible pour le calcium à des températures plus basses. Cela peut potentiellement ralentir la communication entre les neurones.

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Une pieuvre à deux points de Californie (Octopus bimaculoides), dans le laboratoire Cliff Ragsdale de l’Université de Chicago. © Robert Kozloff/Université de Chicago

Il faut savoir qu’une seconde étude a été publiée par l’université de San Diego, dans la revue Cell, portant également sur l’édition génétique de l’ARN et l’adaptation des céphalopodes au jeu des températures. Elle s’intéresse plus particulièrement à la façon dont ces modifications affectent les protéines produites par les poulpes et confirme le rôle joué par les kinésines, souvent décrites comme des « moteurs » parce qu’elles aident à déplacer les matériaux à l’intérieur des cellules.

En « ajustant leurs moteurs moléculaires internes », c’est-à-dire en produisant des versions légèrement différentes de la protéine kinésine, les céphalopodes les font fonctionner plus efficacement dans des conditions différentes, comme lorsque la température de l’eau change.

Implications potentielles

Il est encore trop tôt pour savoir comment ces changements pourraient rendre les poulpes mieux adaptés au froid. Cependant, les chercheurs pensent que l’échelle de temps à laquelle ces modifications se produisent suggère qu’elles sont mieux adaptées aux différences de température saisonnières, plutôt qu’aux changements soudains, tels que ceux causés par les courants marins et le changement climatique.

Les poulpes, avec leur capacité unique à modifier leur code génétique, pourraient ainsi aider à comprendre comment les espèces peuvent évoluer et s’adapter à des conditions environnementales changeantes. Étant donné que les protéines que ces animaux modifient sont également présentes chez les humains, cela ouvre une perspective intéressante pour comprendre comment ces mêmes protéines fonctionnent chez l’homme et pourrait être utile dans la recherche médicale.

Malgré cette avancée, de nombreuses questions restent sans réponse : pourquoi les poulpes ont-ils développé cette capacité d’édition de l’ARN à une échelle beaucoup plus grande que toute autre espèce connue ? Quel est le mécanisme exact qui déclenche ces modifications en fonction de la température ?

Il est crucial de poursuivre les recherches sur la capacité des espèces marines à s’adapter aux changements climatiques. Au lendemain du 8 juin, Journée mondiale des océans, nous sommes rappelés à l’étonnante résilience de la vie marine, ici illustrée par les poulpes. Sans compter qu’il reste encore beaucoup à découvrir sur les océans et les formes de vie qu’ils abritent.

Source : Cell

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