Des fissures dont la propagation surpasse la vitesse du son défient les lois de la physique

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| Pixabay
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Une récente expérience sur des gels élastiques révèle que les fissures s’y propagent à des vitesses dépassant les limites classiques. Se formant à des vitesses supérieures à celle du son et des ondes de cisaillement, ces fissures dites « de supercisaillement » semblent ainsi défier les lois de la physique. Cette découverte pourrait éclairer les mécanismes des puissants séismes, et potentiellement aboutir à de meilleures stratégies de prévention.

Les contraintes appliquées à un matériau sous pression se propagent de la pointe de la fissure à travers toute sa longueur, lorsque l’énergie potentielle dépasse l’énergie de rupture du matériau. Selon le modèle mécanique de base, la vitesse maximale à laquelle une fissure se propage ne dépasse généralement pas celle de l’onde de Rayleigh, un type d’onde se déplaçant à la surface des solides.

Cependant, des expériences datant des années 1970 sur des polymères plastiques ont révélé que sous l’effet de contraintes allant de très faibles à moyennes, les fissures se propagent à des vitesses de supercisaillement (supérieures à la vitesse de cisaillement). Les ondes de cisaillement se déplacent à une vitesse légèrement supérieure à celle des ondes de Rayleigh. De nombreux théoriciens ont également évoqué le phénomène. Mais considérés comme surréalistes et non transposables aux matériaux réels, les résultats ont été temporairement laissés de côté.

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Néanmoins, des séismes correspondant à cette vitesse — appelés séismes de supercisaillement ou « supershear » — ont commencé à être relevés. En effet, le modèle sismique de base correspond à une vitesse de rupture équivalente à celle de la propagation des ondes de cisaillement (ou ondes S), c’est-à-dire oscillant autour de 3 kilomètres par seconde. Les séismes supershear ébranlent ce modèle en atteignant une vitesse de rupture de 5 kilomètres par seconde.

Depuis, les expériences ont repris de plus belle afin de décrypter les mécanismes physiques à la base de ce mystérieux phénomène. Une découverte réalisée par des chercheurs de l’Université hébraïque de Jérusalem semble appuyer ce modèle de supercisaillement. Ils ont notamment pu confirmer expérimentalement l’existence de fissures de traction supershear, dépassant en vitesse les ondes de cisaillement et s’accélérant pour approcher celles des ondes de dilatation (6 kilomètres par seconde).

Une vitesse 30% supérieure à celle du son

Pour mettre en évidence les fameuses fissures de supercisaillement, les chercheurs ont utilisé un hydrogel poreux couramment utilisé pour les analyses moléculaires. Pour chaque échantillon, un motif en grille a été gravé afin de facilement observer la propagation des fissures. Une légère encoche a également été taillée à l’endroit où ils souhaitaient que le gel commence à se fissurer lorsqu’il était étiré (la pointe de fissure).

Après avoir étiré tous les échantillons et suivi les fissures par le biais d’une caméra à grande vitesse, les chercheurs ont été vivement impressionnés par leur vitesse de propagation. Les plus rapides se propageaient à une vitesse 30% supérieure à celle du son ! En ne gravant pas d’encoche de pointe de fissure sur une partie des échantillons, ils ont constaté que certaines dépassaient tout de même de 15% la vitesse du son. Plus surprenant encore, la dynamique de supercisaillement serait régie par des principes différant complètement de ceux traduisant les fissures ordinaires. « Ce mode non classique de rupture de traction représente un changement fondamental dans notre compréhension du processus de rupture », écrivent-ils dans leur article.

D’après eux, l’une des raisons pour lesquelles les équations de base ne peuvent expliquer ce qui s’est produit durant leurs expériences réside dans la façon dont les gels résistent à l’étirement au niveau de la pointe de fissure. Bien que des théoriciens aient antérieurement proposé des modèles viables pour le supercisaillement, celui expliquant exactement la grande vitesse des fissures au sein de ce genre de milieu élastique n’avait pas encore été théorisé. Pour d’autres objets élastiques tels que les ressorts, la relation entre la force d’étirement et leur allongement est relativement simple. Cependant, ce n’est pas le cas pour les gels, dont l’élasticité peut considérablement varier selon l’interaction et la nature des molécules en leur sein.

La compréhension de ce type de phénomènes pourrait éclairer les mécanismes sous-jacents aux séismes supershear. Cela permettrait potentiellement de mieux les anticiper et de minimiser les dégâts. Prochainement, les chercheurs comptent étendre leurs expériences à d’autres matériaux et collaborer avec les théoriciens ayant précédemment abordé le supercisaillement.

Source : Science

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