Si le plastique est tant utilisé aujourd’hui dans le monde, c’est parce que ce matériau affiche des propriétés physiques hors pair : léger, flexible, résistant à la corrosion, isolant électrique et bon marché. Le problème est que les matières plastiques sont pour la plupart difficiles à recycler et/ou génèrent des coûts qui n’incitent pas du tout au recyclage. La nature pourrait peut-être résoudre le problème : une équipe de chercheurs allemands vient en effet de découvrir une bactérie capable de métaboliser du polyuréthane, l’un des plastiques les plus difficiles à détruire.
Il existe cinq grandes familles de plastique recyclable : le polychlorure de vinyle (PVC), le polyéthylène (PE), le polystyrène (PS), le polyéthylène téréphtalate (PET) et le polypropylène (PP). Ils ne se recyclent pas tous de la même manière. Le problème posé par le polyuréthane est que sa composition chimique est particulièrement hétérogène, ce qui rend plus compliqué son recyclage tant biologique que chimique. Stocké dans les décharges, il se dégrade lentement en dégageant des produits chimiques toxiques, voire cancérigènes (isocyanates).
Or, il est à la base de la composition des mousses utilisées dans l’industrie automobile (sièges, tableaux de bord, etc.), l’ameublement (assises de fauteuils et canapés), le bâtiment (panneaux d’isolation) et l’électroménager (parois de réfrigérateurs). Ainsi, chaque année, les produits en polyuréthane représentent à eux seuls 3,5 millions de tonnes de plastiques produits en Europe.
La pollution plastique, un fléau difficile à contenir
Selon un rapport du WWF (« Pollution plastique : à qui la faute ? ») publié il y a un an, plus de 310 millions de tonnes de déchets plastiques ont été générées en 2016 ; un tiers de ces déchets n’ont pas été recyclés et se sont retrouvés dans la nature. Des conséquences lourdes pour la biodiversité : plus de 270 espèces ont été victimes d’enchevêtrement et plus de 240 ont ingéré du plastique. L’ONG avertit que si aucune action d’envergure n’est rapidement mise en place, la quantité mondiale de déchets plastiques pourrait augmenter de 41 % d’ici 2030.
Les responsables ? Les pays à revenu élevé, qui produisent dix fois plus de déchets par personne que les pays à faible revenu. La France fait partie des plus gros consommateurs de plastiques et n’en recycle que 21 %. Fort heureusement, certaines mesures ont déjà été mises en place dans plusieurs pays : une réduction notable de la production de plastique, l’élimination du plastique à usage unique et un recyclage plus intensif des déchets collectés.
Les scientifiques étudient quant à eux des solutions alternatives aux techniques de recyclage traditionnelles. Le recours à des micro-organismes pour décomposer les plastiques a déjà été envisagé et étudié à maintes reprises. Mais jusqu’à présent, le cas particulier du polyuréthane n’avait pas encore fait l’objet d’une étude approfondie. C’est désormais chose faite, grâce au Dr Christian Eberlein, du Centre Helmholtz pour la recherche environnementale. Son équipe est parvenue à isoler une bactérie, Pseudomonas sp. TDA1, a priori capable de métaboliser du plastique à base de polyuréthane et d’en briser ainsi les liaisons chimiques. Dès lors, il deviendrait plus facile à éliminer.
Une bactérie résistante et gourmande
Les chercheurs ont découvert cette bactérie sur le sol d’un site riche en déchets plastiques cassants, localisé à Leipzig. Ils ont alors entrepris une analyse génomique du micro-organisme pour déterminer de quoi il était capable. Cette bactérie proviendrait d’un groupe de bactéries connues pour leur capacité à interagir avec des composés organiques toxiques ; elle est extrêmophile, autrement dit, elle est capable de vivre dans des conditions qui seraient mortelles pour la plupart des autres organismes – ici, les émanations toxiques liées à la dégradation du plastique.
Deux des diisocyanates les plus largement utilisés pour la synthèse des polyuréthanes sont le 4,4′-méthylène diphényl diisocyanate (MDI) et le toluène-2,4-diisocyanate (TDI), ainsi que leurs précurseurs respectifs, le 4,4′-diaminodiphénylméthane (MDA) et le 2,4- diaminotoluène (2,4-TDA). Ces deux derniers sont considérés comme extrêmement toxiques, classés dans la catégorie « cancérigène, mutagène ou toxique pour la reproduction » par l’Agence européenne des produits chimiques. D’où l’intérêt de rechercher des bactéries capables de les dégrader…
Les chercheurs ont donc cultivé des souches de bactéries Pseudomonas dans divers échantillons de solutions minérales plus ou moins azotées, avec du 2,4-TDA à différentes concentrations comme seule source de carbone et d’énergie. Résultat : au bout de quelques jours, la bactérie affichait une croissance exponentielle tandis que la concentration de 2,4-TDA diminuait. « Les bactéries peuvent utiliser ces composés comme seule source de carbone, d’azote et d’énergie », explique le microbiologiste Hermann Heipieper, co-auteur de l’étude. Cette découverte représente une étape importante dans la recherche d’une solution de recyclage des produits à base de polyuréthane. À présent, l’équipe doit identifier les gènes codant pour les enzymes extracellulaires responsables du processus de décomposition.
Sur le même sujet : Une nouvelle enzyme synthétisée par hasard dégrade efficacement le plastique
« L’un des enjeux majeurs du XXIe siècle »
C’est ainsi que les chercheurs caractérisent la gestion de nos déchets plastiques et l’utilisation durable des polymères synthétiques. Effectivement, les innovations autour de cet enjeu critique ne manquent pas. Quelques pistes de production durable de plastique ou de nouvelles techniques de recyclage, permettant par exemple de transformer le polypropylène en carburant, étaient déjà porteuses d’espoir.
L’étude du Dr Eberlein et ses collègues s’inscrit en réalité dans un programme de recherche bien plus vaste de l’Union européenne, nommé P4SB (From Plastic waste to Plastic value using Pseudomonas putida Synthetic Biology). L’objectif de ce programme est d’identifier des micro-organismes susceptibles de convertir les plastiques dérivés du pétrole en matériaux biodégradables ; et comme son nom l’indique, le projet se focalise sur la bactérie Pseudomonas putida. Le consortium P4SB étudie également les capacités de cette bactérie à dégrader les plastiques de type PET.