Fossiles humains dans l’espace : hommage ou controverse à bord du Virgin Galactic ?

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Les fossiles ont été protégés par un conteneur en fibre de carbone pour le voyage dans l’espace. | Virgin Galatic
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L’exploration spatiale a pris une tournure inattendue en septembre 2023. Deux fossiles d’anciens hominidés, témoins silencieux de notre évolution, ont été propulsés hors de notre atmosphère. Cette initiative, bien que saluée par certains comme un hommage à l’histoire humaine, a également suscité de vives critiques. Elle interroge la manière dont nous valorisons et respectons notre patrimoine ancestral.

Le 8 septembre 2023, une initiative sans précédent a « propulsé » l’histoire humaine dans l’espace, avec l’envoi de deux fossiles d’anciens hominidés à bord de la navette VSS Unity lors du 3e vol spatial commercial de Virgin Galactic. Les deux fossiles, conservés en toute sécurité dans un conteneur en fibre de carbone, ont quitté Spaceport America pour être transportés par le vaisseau mère VMS Eve à une altitude de 13,7-15 km, avant que le VSS Unity se sépare du vaisseau mère et allume son moteur-fusée pour la montée vers l’espace suborbital.

Ces fossiles appartiennent aux espèces Australopithecus sediba et Homo naledi. Ces « touristes de l’espace » d’un genre nouveau ont été choisis pour symboliser et célébrer l’évolution humaine et notre quête incessante de connaissance et d’exploration. Cette action a néanmoins, et à juste titre, suscité de vives critiques parmi les archéologues.

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Le choix de fossiles emblématiques

Les fossiles sélectionnés pour ce voyage spatial ne sont pas des choix arbitraires. Ils représentent des découvertes majeures dans le domaine de la paléoanthropologie. La clavicule de l’Australopithecus sediba est le premier reste de l’espèce éteinte découvert par Matthew Berger (son père, Lee Berger, est une figure emblématique de ce domaine) en 2008, alors âgé de neuf ans, sur le site de Malapa à l’extérieur de Johannesburg, en Afrique du Sud. Sediba, espèce vieille de deux millions d’années, a été reconnue comme une candidate potentielle pour avoir donné naissance à notre propre genre, Homo. Ce fossile a donc marqué un tournant dans notre compréhension de l’évolution humaine.

De son côté, l’Homo naledi, espèce datant d’il y a 250 000 ans, a été représenté par un os du pouce, découvert à Rising Star Cave, témoignant de son importance pour l’évolution humaine. Originaires d’Afrique du Sud, ces espèces ont été au cœur d’intenses discussions scientifiques concernant leur place dans l’arbre généalogique humain.

Selon le Dr Bernhard Zipfel, conservateur des collections à l’Université du Witwatersrand, les fossiles choisis pour ce voyage sont parmi les plus documentés à ce jour. Des moulages, des scans et des images de ces fossiles sont disponibles dans le monde entier grâce à des efforts scientifiques et d’accès ouvert.

La controverse

L’envoi des fossiles dans l’espace a été perçu par beaucoup comme une manière de célébrer la longue histoire de l’évolution humaine et les avancées scientifiques qui nous ont permis de comprendre cette histoire. Le professeur Lee Berger, explorateur en résidence de la National Geographic Society et directeur du Centre for the Exploration of the Deep Human Journey à l’Université du Witwatersrand en Afrique du Sud, déclare dans un communiqué : « Le voyage de ces fossiles dans l’espace représente l’appréciation de l’humanité pour la contribution de tous les ancêtres de l’humanité et de nos anciens parents. Sans leur invention de technologies telles que le feu et les outils, et leur contribution à l’évolution de l’esprit humain contemporain, des efforts aussi extraordinaires que les vols spatiaux n’auraient pas eu lieu ».

L’entrepreneur et philanthrope Timothy Nash, qui a transporté les fossiles dans sa poche pendant le vol, a déclaré que ce voyage offrait une occasion de réfléchir à l’esprit d’entreprise de nos premiers ancêtres. Pour lui, ces espèces étaient en constante exploration, se déplaçant hors de leur environnement et peuplant progressivement le monde.

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Remise en mains propres des fossiles entre Lee Berger (à gauche) et Timothy Nash (au centre). © Wits University

Cependant, cette décision n’a pas été universellement applaudie. Pour certains archéologues, transporter ces témoins millénaires hors de leur contexte terrestre était inapproprié, voire sacrilège. Ils estiment que ces vestiges, qui ont survécu pendant des millénaires, méritaient un traitement plus respectueux.

Sur le réseau social X (anciennement Twitter), Alessio Veneziano, anthropologue biologique et co-organisateur de la conférence AHEAD (Advances in Human Evolution, Adaptation and Diversity), a identifié succinctement quatre problèmes principaux qui ont été discutés : 1) le manque de justification scientifique du vol ; 2) les questions éthiques liées au respect des restes ancestraux humains ; 3) l’accès de Berger aux fossiles, que peu d’autres chercheurs partagent ; et 4) la fausse représentation de la pratique de la paléoanthropologie.

D’ailleurs, ajoutant à la controverse, la demande de permis originale de Berger, approuvée par l’Agence sud-africaine des ressources du patrimoine (SAHRA), mentionnait que le but du voyage était de promouvoir la science et d’apporter une reconnaissance mondiale à la recherche sur les origines humaines en Afrique du Sud, plutôt que d’aborder des questions scientifiques.

Notons que le fait que les fossiles aient été grandement étudiés et documentés a été un aspect clé de la demande de permis de Berger, dans laquelle il a pu aisément justifier la sélection des fossiles et ainsi atténuer le poids du risque de perte. Sans compter que sur le permis, les fossiles semblent avoir été classés comme des restes paléontologiques — plutôt qu’humains —, contournant ainsi les problèmes éthiques et juridiques, ce qui témoigne du débat scientifique plus large et en cours sur ce que nous considérons comme « humain ».

De ce fait, certains scientifiques ont vu dans cette démarche une simple stratégie marketing de la part de Virgin Galactic, cherchant à attirer l’attention sur leurs exploits spatiaux en utilisant ces précieuses reliques comme des accessoires de publicité. Cette initiative crée un dangereux précédent pour les prochains projets de ce genre, pouvant mettre en péril le patrimoine archéologique pour de simples « buzz » médiatiques.

Il est prévu que les fossiles, ainsi que les souvenirs du vol, soient exposés dans des musées et d’autres institutions en Afrique et dans le monde après leur retour en Afrique du Sud.

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