Le Bitcoin a été l’élément pionnier dans la démocratisation des cryptomonnaies et, depuis son essor, de nombreuses autres sont apparues. Néanmoins, le Bitcoin, dont le cours est passé de 69 000 dollars américains en novembre 2021 à près de 20 000 dollars à la mi-juin 2022, poursuit sa descente aux enfers, entraînant avec lui tout le marché des cryptoactifs, dont la valeur est arrivée sous la barre des 1000 milliards de dollars américains. Outre cette dévalorisation, les cryptomonnaies sont dans le viseur des gouvernements et des écologistes. Leur poids environnemental n’est pas négligeable, même si certaines cryptomonnaies tentent de reverdir leur image. Alors, quel est l’avenir des cryptomonnaies ?
Fondamentalement, une cryptomonnaie est une monnaie alternative qui ne possède pas de forme physique et qui est entièrement virtuelle. Elle s’échange directement de pair-à-pair, sans l’intermédiaire d’une banque ou autre établissement de contrôle.
Toutes ces monnaies virtuelles sont minées. Le minage est l’une des étapes les plus importantes de la création des cryptomonnaies, la base de la blockchain. Son objectif est de sécuriser la chaine de transactions (blockchain), contre une certaine quantité de la monnaie en question pour les mineurs (en guise de « rémunération » du calcul). En pratique, une blockchain est une base de données qui contient l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création. Miner une cryptomonnaie, c’est donc s’assurer de l’intégrité de la blockchain.
Cependant, le minage (ou extraction) de Bitcoin ou de toute autre cryptomonnaie est de plus en plus contesté à travers le monde et compromis par divers projets de loi et interdictions nationales. De ce fait, en 2021, la Chine a rendu cette activité, dite « basée sur la preuve de travail » (proof of work), illégale. Le gouvernement a justifié cette décision par son ambition de devenir neutre en carbone d’ici 2060. D’ailleurs, c’est l’un des fers de lance des détracteurs des monnaies virtuelles, le besoin énergivore affolant en ces temps de crise climatique. Tim Berners-Lee, crédité comme l’inventeur du World Wide Web, est allé jusqu’à décrire « l’extraction de Bitcoin comme l’un des moyens les plus fondamentalement inutiles d’utiliser l’énergie ».
Énergivores, les monnaies virtuelles dans le viseur de la législation des pays
Officiellement investi dans le Bitcoin avec sa société Tesla, Elon Musk a jeté l’opprobre sur la cryptomonnaie en mai 2021 en annonçant ne plus accepter ce moyen de paiement pour ses voitures tant que la production de cette cryptomonnaie serait « dépendante de combustibles riches en carbone […], en particulier du charbon ». Les cours ont alors chuté.
Puis, en juillet 2021, il a à nouveau bousculé le cours de la cryptomonnaie en déclarant : « Il semble que le Bitcoin s’oriente beaucoup plus vers les énergies renouvelables et qu’un tas de centrales à charbon lourdes qui étaient utilisées… ont été fermées, notamment en Chine ». D’ailleurs, plusieurs études ont montré qu’une part croissante de la consommation totale d’électricité provient de sources d’énergie renouvelable comme l’hydraulique, le solaire ou l’éolien. Cependant, les estimations divergent considérablement, allant de 20% à 70%.
Effectivement, ces cryptomonnaies sont de facto très énergivores pour la validation des transactions sur leur blockchain. Une étude de l’université de Cambridge pointe la forte consommation d’électricité induite par la blockchain Bitcoin, qu’elle estime à environ 92,93 térawatts-heures (TWh) par an au 2 juillet 2022, soit légèrement plus que la consommation annuelle d’un pays comme le Kazakhstan (92,134 TWh). Cette consommation représente également celle nécessaire à l’université de Cambridge durant 679 ans !
Un autre problème est la quantité massive d’énergie nécessaire pour chaque transaction, par rapport aux cartes de crédit traditionnelles. Par exemple, chaque transaction Mastercard est estimée à seulement 0,0006 kWh (kilowattheure), tandis que chaque transaction Bitcoin consomme 980 kWh, soit assez pour alimenter un foyer canadien moyen pendant plus de trois semaines.
Une question vient à l’esprit : le minage de Bitcoin pourrait-il inciter au déploiement de la production d’énergie renouvelable ? Les mineurs pourraient aider à stabiliser les réseaux énergétiques qui luttent contre la nature intermittente des énergies renouvelables. Ainsi, pendant les périodes de production abondante, les mineurs peuvent absorber une capacité excédentaire que le réseau ne pourrait pas gérer autrement. À leur tour, ils arrêteraient les opérations lorsque le réseau serait à court. En conséquence, les réseaux pourraient gérer la charge plus efficacement, ce qui devrait inciter au déploiement de capacités supplémentaires de production d’électricité à base d’énergies renouvelables.
D’ailleurs, on peut utiliser le même raisonnement mais de manière inverse. En créant une nouvelle demande d’énergie stable et abondante — que les énergies renouvelables ne peuvent pas facilement fournir par elles-mêmes —, les mineurs prolongent la durée de vie économique des anciennes centrales électriques qui fonctionnent avec des combustibles fossiles tels que le charbon ou le gaz naturel. Dans certaines régions, cela a déjà conduit à la remise en service de centrales qui ont été démantelées faute de rentabilité. Par exemple, l’État de New York, avec ses infrastructures industrielles désaffectées et un climat froid, représente un eldorado pour les mineurs déracinés de Chine notamment.
Mais l’État vise à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 85% d’ici 2050, c’est pourquoi les législateurs de New York envisagent son interdiction, à l’image de la Suède en 2021, emboitant le pas à la Chine. Le Sénat local new-yorkais a voté vendredi 3 juin 2022 en faveur d’une loi pour l’interdiction du minage de cryptomonnaies dit par « proof of work ». Le gouverneur doit maintenant la promulguer, ou y apposer son veto. Une partie du secteur redoute que l’exemple new-yorkais soit suivi dans d’autres territoires américains.
Au niveau fédéral, Joe Biden a signé un premier décret sur les actifs numériques au sens large, en mars 2022. Il exige du Bureau de la politique scientifique et technologique de la Maison-Blanche une série de recommandations sur les technologies liées à la blockchain d’ici septembre, notamment en matière environnementale. Elle pourrait aboutir à une législation fédérale encadrant le secteur. Les détenteurs de Bitcoin devront suivre de près les projets de loi.
C’est pour toutes ces raisons, et face aux enjeux climatiques urgents ainsi qu’à l’effondrement de leur cours en bourse, que les cryptomonnaies tentent de se réinventer de manière plus verte.
Quelles cryptomonnaies sont réellement impliquées dans un projet écologique ?
Des initiatives ont vu le jour autour du Bitcoin pour répondre aux préoccupations croissantes en matière de durabilité. Des entreprises introduisent des engagements pour que les mineurs décarbonent leurs actions. D’autres entreprises non minières, comme les gestionnaires d’actifs et les bourses, ont déjà commencé à compenser leurs émissions via des crédits carbone. Ces efforts ont conduit à une plus grande sensibilisation à l’environnement au sein de l’industrie, incitant les sociétés de minage numérique à revoir plus attentivement leurs stratégies d’approvisionnement en énergie et à prendre des mesures pour réduire leur empreinte carbone.
À titre d’exemple, la société mondiale d’exploitation minière d’actifs numériques White Rock Management a annoncé récemment le déploiement de sa première installation minière américaine de Bitcoin, au Texas. Le minage initial sera alimenté par du gaz naturel dérivé de puits de pétrole actifs situés sur place. Effectivement, le pétrole et le gaz vont de pair dans les gisements, dans des proportions variables. Lorsque cela est techniquement possible, les compagnies utilisent les deux ressources pour leurs activités. Mais la plupart du temps, elles n’utilisent qu’une seule des deux. À l’image des torchères, on exploite le pétrole et on brûle le gaz pour s’en débarrasser. La firme s’associe à NGON, une société de services et de technologies d’énergie verte, afin de mettre en œuvre le projet.
Il existe quelques cryptomonnaies expressément créées dans le contexte de la crise climatique. Nous pouvons en citer 5 principales. Solar Coin est une initiative américaine qui a pour objectif de valoriser la production de l’énergie solaire et d’obtenir des moyens pour financer des projets de transition énergétique. Pour chaque MWh produit, producteur comme particulier reçoit un SolarCoin sur son portefeuille virtuel.
L’Ecocoin est une monnaie qui gratifie l’utilisateur pour les bonnes actions réalisées en matière de développement durable, à condition qu’elles puissent être prouvées par l’un des partenaires de la monnaie.
La PlasticBank a pour objectif de réduire la pollution plastique des océans en donnant un prix aux déchets plastiques. La monnaie possède un taux de valorisation des déchets plastiques supérieur à celui du marché, favorisant ainsi la collecte pour le recyclage et incitant les collectivités locales à mieux prendre en compte le tri dans leur politique. Elle finance aussi des usines de recyclage dans des pays ne possèdent pas les moyens d’en construire.
Le Peercoin s’attaque à la technologie énergivore de la blockchain indispensable pour émettre une cryptomonnaie. Cette monnaie virtuelle utilise le minage de type « proof of stake », qui permet d’éviter la centralisation des calculs sur un même ordinateur et les répartit sur l’ensemble des utilisateurs de la monnaie. Cette méthode consomme jusqu’à 100 fois moins d’énergie que le minage par « proof of work ».
Enfin, le FairCoin rassemble toutes les notions du développement durable autour d’une même monnaie. En effet, l’entreprise FairCoop souhaite une meilleure distribution des richesses et améliorer les facteurs de liens sociaux grâce au FairCoin, tout en limitant l’impact énergétique généré par la création de cette monnaie.
L’environnement a besoin de « cryptogouvernance », un avenir possible pour les monnaies virtuelles
Les modes de gouvernance d’aujourd’hui sont sujets à la corruption et sont incapables d’orienter l’humanité vers la durabilité, malgré la crise environnementale mondiale en cours. Alors malgré les problèmes écologiques cités précédemment, des experts de l’ONU pensent que les cryptomonnaies et la technologie qui les alimente (blockchain) peuvent jouer un rôle important dans le développement durable en améliorant notre gestion de l’impact environnemental.
L’un des aspects les plus utiles des cryptomonnaies, en ce qui concerne l’ONU, est la transparence. Parce que la technologie est résistante à la falsification et à la fraude, elle peut fournir un enregistrement fiable et transparent des transactions, ce qui est primordial dans les régions où les institutions sont faibles et les niveaux de corruption élevés.
En effet, le Programme alimentaire mondial des Nations Unies a démontré, par un programme pilote au Pakistan, que la blockchain peut aider à garantir le bon acheminement de l’aide financière, jusqu’aux bénéficiaires, en toute sécurité et rapidement, sans avoir besoin de passer par une banque locale.
De manière similaire, au moins quatre domaines liés à la gouvernance et à la durabilité pourraient bénéficier de l’utilisation de la blockchain d’après le chercheur Guillaume Chapron de l’Université suédoise des sciences agricoles.
En premier lieu, la blockchain peut certifier l’existence et la propriété de tout ce qui peut être numérisé. Par exemple, un certificat indiquant qu’une communauté possède une forêt peut être enregistré dans la blockchain avec un horodatage. Les start-ups commencent à le faire, comme la société Benben à Accra, capitale du Ghana, qui développe des registres de titres fonciers pour ce pays en utilisant la blockchain. La Géorgie et le Honduras font de même. Cela pourrait limiter l’expulsion des populations locales par des industries ou des gouvernements corrompus.
En deuxième lieu, les biens physiques peuvent être tracés tout au long de leur cycle de vie. La start-up Everledger à Londres certifie et suit le commerce des diamants, afin de réduire les ventes de pierres précieuses volées ou de pierres de conflit, utilisées par des milices rebelles pour financer leurs activités militaires contre les gouvernements légitimes. La plateforme technologique Provenance, également à Londres, développe un protocole basé sur la blockchain pour suivre les ressources et les matériaux. Les entreprises pourraient suivre la quantité d’eau, d’énergie ou de matières premières qu’elles utilisent. L’impact environnemental global des entreprises ou des consommateurs pourrait être enregistré sur la blockchain et un comportement durable récompensé par des incitations telles que des crédits d’impôt.
Par suite, Guillaume Chapron estime que les communautés locales ayant des droits sur les ressources naturelles pourraient recevoir des paiements directs en Bitcoins pour les services écosystémiques ou pour atteindre les objectifs de conservation. Protéger la nature serait alors plus rentable que de l’exploiter de manière inconsidérée.
De plus, la blockchain pourrait garantir que le financement de la conservation et du développement soit utilisé comme prévu. L’argent peut être suivi, attaché à un objectif spécifique, avoir une date d’expiration ou être débloqué lorsque les jalons du projet sont atteints. Les fonds ne peuvent pas être détournés. Les intermédiaires sont supprimés du processus.
Dernier point : l’utilisation de la blockchain peut se faire en politique. Un registre public, partagé et immuable des actifs et des transactions, peut aider le public à tenir les politiciens responsables. Les autorités ne peuvent pas retirer ou falsifier des preuves, ni saisir ou fermer des institutions basées sur la blockchain.
L’avenir des cryptomonnaies et celui de la Russie
L’argent est le nerf de la guerre, même s’il n’est que virtuel. Effectivement, les banques russes ont été exclues du système SWIFT en février dernier via les sanctions imposées par les pays occidentaux en réponse à la guerre russo-ukrainienne. Depuis lors, Moscou s’efforce de trouver un système de paiement financier alternatif à SWIFT afin de protéger ses transactions de commerce extérieur.
Rostec, un conglomérat public de défense dont le siège est à Moscou, a annoncé qu’il avait développé une plateforme blockchain pouvant être utilisée pour les règlements internationaux. Baptisée CELLS industrial blockchain, elle est censée remplacer SWIFT en Russie.
Le système numérique de paiements internationaux permettra à la Russie de payer ses importations dans sa monnaie nationale, le rouble, au lieu du dollar. Selon le groupe Rostec, le nouveau système permettra également aux pays étrangers de payer leurs importations en provenance de Russie dans leur monnaie nationale. Le système devrait pouvoir traiter jusqu’à 100 000 transactions par seconde, avec la possibilité d’augmenter sa capacité. La Russie développe une approche très singulière selon laquelle les cryptomonnaies seraient interdites d’utilisation dans le pays tout en étant le moyen privilégié pour continuer à vendre et exporter ses ressources à l’étranger.
De surcroît, le troisième plus grand producteur de pétrole de Russie, Gazprom Nef, vient de signer un accord avec la société d’hébergement de cryptomonnaies verte BitRiver pour mettre en place des installations de minage de Bitcoin sur des champs pétrolifères. C’est ainsi que d’une part la Russie entre de plain-pied dans le monde de la cryptomonnaie, et d’autre part, que Gazprom Nef espère réduire son impact carbone en fournissant le surplus de gaz naturel pour miner du Bitcoin, tout comme la White Rock Management aux États-Unis.
En conclusion, l’avenir des cryptomonnaies reste toujours très aléatoire et soumis à des facteurs qui semblent totalement arbitraires. Si elles peuvent apporter des preuves de fiabilité dans certains domaines et même être partiellement vertes pour quelques-unes, elles peuvent toutefois ruiner un pays entier, comme le Salvador. En effet, neuf mois après le début de son expérimentation en acceptant le Bitcoin comme monnaie légale, tout en misant sur une énergie verte pour le minage de cette dernière, le Salvador a perdu près de la moitié de son investissement, alors que le Bitcoin a perdu plus de 70% de sa valeur depuis novembre 2021. Sans compter que le pays a maintenant un besoin grandissant en liquidités pour faire face au paiement de sa dette l’année prochaine, qui devrait dépasser le milliard de dollars.