Le champ magnétique de la Terre est généré par l’effet dynamo dû aux mouvements de convection dans le noyau terrestre externe, qui est composé à 90% de fer liquide. Ces mouvements sont chaotiques, ce qui explique pourquoi le champ magnétique varie avec le temps. Une équipe de l’Université Grenoble Alpes a suivi ces changements par satellite pendant 20 ans : les chercheurs ont ainsi identifié de petites ondes magnétiques interannuelles dans le noyau externe, qui pourraient éclairer les mécanismes entretenant la géodynamo.
Le noyau externe fonctionne comme une dynamo autoentretenue : le champ magnétique est à l’origine de courants électriques, qui eux-mêmes engendrent le champ magnétique. Ce dernier est produit par induction, due aux mouvements rapides des alliages de fer et de nickel liquides (qui suivent les gradients de concentration et de température, du centre vers la couche externe). Ces mouvements sont en outre déviés par la force de Coriolis inhérente à la rotation de la Terre. De précédentes recherches ont mis en évidence la présence d’ondes de torsion d’Alfvén dans le noyau terrestre, mais elles ne suffisent pas à expliquer à elles seules les variations du signal magnétique observées.
Nicolas Gillet et ses collègues de l’Institut des sciences de la Terre de Grenoble ont suivi l’évolution du champ magnétique terrestre pendant plus de 20 ans (entre 1999 et 2021), via des observations de satellites situés en orbite terrestre basse, complétées par des enregistrements au sol et des simulations informatiques. Ils ont découvert que le champ magnétique autour de la région équatoriale du noyau fluctuait régulièrement. « Il est fascinant de constater qu’en enregistrant le champ magnétique de la Terre à l’aide de satellites, nous sommes en mesure d’imager ce qui se passe à plus de 3000 mètres sous nos pieds », a déclaré Gillet au New Scientist.
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De nouveaux motifs ondulatoires à courte période
Le champ magnétique terrestre affiche en effet des variations sur une large gamme d’échelles de temps, allant de quelques années à des centaines de millions d’années. Grâce aux observations satellites et à des simulations toujours plus sophistiquées, notre compréhension de la géodynamo a bien évolué ces dernières années. Il est important de comprendre la dynamique du noyau, car elle affecte la durée du jour ; de même, le champ magnétique qu’il génère nous protège du vent solaire. Ces deux dernières décennies de surveillance visaient à mieux comprendre les processus physiques rapides qui se déroulent dans le noyau externe.
Les ondes de torsion d’Alfvén axisymétriques précédemment identifiées affichent une période de six ans environ ; elles ont permis d’estimer l’intensité moyenne du champ magnétique à l’intérieur du noyau terrestre (environ 5 mT). Mais l’essentiel des fluctuations semblait provenir de mouvements non axisymétriques, dont l’origine était inconnue — les études antérieures se focalisant généralement sur les signatures d’ondes magnétiques à l’échelle de plusieurs centaines d’années.
Grâce à leurs observations sur 20 ans, Gillet et ses collaborateurs ont identifié de nouveaux motifs ondulatoires non axisymétriques dans la région équatoriale de la surface du noyau. « Ces caractéristiques ondulatoires ont de grandes échelles spatiales, des périodes interannuelles proches de 7 ans, des amplitudes atteignant 3 km/an, et une dérive cohérente vers l’ouest à des vitesses de phase d’environ 1 500 km/an », écrivent les chercheurs dans la revue PNAS. Selon eux, ces ondulations correspondent à la signature des modes propres d’ondes magnéto-Coriolis — des ondes magnéto-hydrodynamiques de périodicité centennale.
« Ce qu’il est important de savoir, c’est que le champ magnétique dans le noyau évolue sur de très longues échelles de temps. Et ce dont nous avons été témoins ne sont que de minuscules ondulations en plus de cela », explique Gillet.
Une contribution importante des ondes magnéto-Coriolis
Les ondes de torsion consistent en une rotation différentielle entre des cylindres « géostrophiques », coaxiaux à l’axe de rotation de la Terre, imprégnés d’un champ magnétique. En raison de leur nature géostrophique, la force de Coriolis n’entre pas dans l’équilibre des forces régissant ces mouvements ; le calcul de la période des ondes de torsion est indépendant de la vitesse de rotation de la Terre.
Pour des écoulements non axisymétriques plus généraux (classe à laquelle appartiennent les ondes magnéto-Coriolis) en revanche, la dynamique est quasi invariante dans la direction parallèle à l’axe de rotation, ou quasi géostrophique. « Nous privilégions une interprétation alternative, où l’accélération de Coriolis dans l’équilibre de la quantité de mouvement. Aux échelles de longueur et de temps accessibles aujourd’hui, l’importance de la force de Coriolis est inévitable près de l’équateur », notent les auteurs de l’étude.
Jusqu’à présent, les changements du champ magnétique pouvaient éventuellement être expliqués par la présence d’une fine couche de roche entre le noyau externe et le manteau inférieur ; cette hypothèse a longtemps été débattue, mais les résultats de cette nouvelle étude écartent cette possibilité, selon Gillet. « Cette étude constitue une avancée passionnante dans notre compréhension du fonctionnement du champ magnétique terrestre sur des échelles de temps inférieures à une décennie », souligne Chris Finlay, spécialiste en géomagnétisme à l’Université technique du Danemark, qui n’a pas participé à l’étude.
À l’aide de ces ondes nouvellement découvertes, les chercheurs pensent qu’il est possible d’imager complètement le champ géomagnétique qui règne dans les profondeurs du noyau (car les ondes transportent des informations sur les propriétés du milieu qu’elles traversent) — ce qui permettrait en outre de prédire la manière dont il va évoluer.