Une note fantôme productible avec les violons les plus anciens est bien réelle et non une illusion auditive

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Un violon du XVIIIe siècle fabriqué par le luthier italien Giuseppe Guarneri. | AGUTTES
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Les musiciens apprécient particulièrement les anciens instruments qui dévoilent des notes subtiles, presque impossibles à reproduire avec des instruments contemporains. Récemment, une équipe italienne a enregistré le mystérieux « troisième ton » généré lors du jeu d’un accord à deux notes sur un violon. Comprendre ce qui produit cette note mystérieuse donnera certainement les clés pour la reproduire sur des violons modernes.

Quand on parle d’instruments anciens et notamment de violons, Stradivarius est l’un des noms de luthiers les plus reconnaissables dans le monde de la musique classique. On pense qu’il ne reste qu’environ 650 violons Stradivarius dans le monde. Ils ont tous été construits dans l’atelier de la famille italienne Stradivari aux XVIIe et XVIIIe siècles, par Antonio Stradivari. Dès 1666, il signe ses instruments en employant la forme latinisée de son nom, qui finira par désigner aussi bien le créateur que ses créations.

Les instruments sont réputés avant tout pour leur qualité sonore, ce qui se reflète dans leurs prix élevés. D’ailleurs, après 78 ans, le célèbre « Lauterbach Stradivarius » a peut-être été retrouvé en France après avoir été volé dans un musée polonais par les nazis, durant la Seconde Guerre mondiale. L’expertise est en cours.

Récemment, des scientifiques italiens ont découvert que certains de ces instruments de musique anciens produisent « réellement » un son unique. Il s’agit de tonalités combinées plus fortes et plus audibles que les tonalités classiques. On les surnomme tonalités « fantômes ». Malheureusement, tout le monde ne peut pas les entendre. Elles sont produites lorsque deux notes de musique sont jouées simultanément. L’étude est publiée dans la revue The Journal of the Acoustical Society of America.

Les tonalités Tartini sont bien réelles

Les plus célèbres de ces tonalités combinées sont les tons Tartini. Ils sont nommés d’après le compositeur et violoniste virtuose italien Giuseppe Tartini, qui les découvrit en 1714. Ces « terzo suono », ou troisièmes sons, étaient jusqu’à présent considérés comme « un phénomène subjectif généré par la non-linéarité cochléaire de l’auditeur », comme l’écrivent des chercheurs italiens dans un article de 2010. La cochlée est une partie de l’oreille interne enroulée en spirale, contenant les terminaisons du nerf auditif (organe de Corti). En d’autres termes, le son est généré par la résonnance de deux notes, jouées simultanément, dans nos oreilles, et non par l’instrument lui-même.

Ainsi, Giovanni Cecchi de l’Université de Florence en Italie et ses collègues ont voulu comprendre leur origine et tenter d’élucider ce mystère. Est-ce le violon ou nos oreilles qui nous font entendre ce son ? Ils ont donc étudié différents violons et la production de ces sonorités combinées.

Concrètement, l’équipe a recruté un violoniste professionnel pour jouer une série de combinaisons à deux notes, appelées dyades, sur cinq violons différents : un violon Tononi datant de 1700, un violon italien anonyme du XVIIIe siècle ; un instrument du XIXe siècle fabriqué par Henry Lockey Hill de Londres ; un violon artisanal datant de 1971 ; et un instrument moderne fabriqué en usine.

Comme le rapporte New Scientist, l’équipe a découvert que tous les violons produisaient des sons combinés, mais que les instruments les plus anciens produisaient les plus puissants. La magnitude de la tonalité de combinaison la plus importante pour le plus ancien violon, fabriqué à Bologne en 1700, était d’environ 75% supérieure à celle d’un instrument moderne produit en série.

Le troisième son, audible pour tous ?

Les auteurs ont également voulu savoir avec quelle clarté les auditeurs pouvaient entendre les tonalités combinées produites par les trois violons de la plus haute qualité. Ils ont alors demandé à 11 musiciens professionnels et amateurs d’écouter des enregistrements du violoniste, dont certains avaient les tonalités combinées supprimées de manière numérique.

L’équipe explique alors que la possibilité que ces sons puissent être détectés à l’extérieur de l’oreille était significative. En effet, les auditeurs pouvaient entendre la différence presque à chaque fois : les moins précis l’entendaient 93% du temps, tandis que l’auditeur le plus précis l’entendait à chaque fois.

Giovanni Cecchi déclare à la revue The Strad : « Jusqu’à présent, les tonalités combinées générées par le violon étaient considérées comme trop petites pour être entendues, et donc sans importance en musique. Nos résultats changent ce point de vue en montrant que les tonalités combinées générées par des violons de bonne qualité peuvent être facilement entendues, affectant la perception des intervalles ».

Néanmoins, l’équipe conteste l’idée que seuls les violons plus anciens seraient capables de les générer. Les travaux futurs se concentreront sur l’analyse d’un plus grand nombre et d’une plus grande variété de violons afin d’identifier les composants physiques précis responsables de la génération de ces sons. Avec les technologies modernes et précises de fabrication ainsi que des matières premières de meilleure qualité, il est fort probable que l’on puisse recréer ces tonalités fantômes, à la manière des plus anciens instruments.

Source : The Journal of the Acoustical Society of America

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